Un tambour sur le dos.
Un tout beau, un tout jeune, fabriqué tout près, il n’y a pas si longtemps, par l’artisan Michel Thys.
Un tambour comme on en fait par ici. A l’abri du soleil et de la pluie dans une housse couleur vie cousue par une amie du coin. Deux voix qui fredonnent et improvisent.
La Crapaude part à pied.
Su l’vôye, comme on dit. Elle marche sur les routes du pays des chants qu’elle porte.
Elle marche à l’ombre des forêts ardennaises, elle marche entre les champs du Condroz, longs et droits, elle marche sous le cagnard et sous la pluie, elle marche sur les cailloux de l’Ourthe et sur les trottoirs des villages, entre les voitures. Elle s’arrête aussi, dès qu’il y a moyen de prendre un bon café ou de chanter avec ceux qui sont encore assis sur les bancs.
Ce qu’elle aime, la Crapaude, c’est retrouver des mélodies sympas, des mots qui accompagnaient nos ancêtres quand ils travaillaient, faisaient la fête ou endormaient les enfants. Souvent de surprenantes histoires drôles et loufoques, d’ailleurs. Ce qu’elle en fait ? Pas facile à dire… Si la mélodie reste comme une perle dans un écrin, voilà qu’elle l’enrobe de claves latino, de rythmes urbains, de délires beat boxés. Elle lui ajoute la douce harmonie d’une deuxième voix, la fait danser, planer et sautiller. Dans la puissante simplicité des deux voix et un tambour, complice, drôle, à donner la chair de poule dit-on même parfois, elle fait entendre que ces chants coulent toujours en nous. Ni d’hier ni d’aujourd’hui, elle compose.
C’est ça qu’elle fait le soir, du coup, quand elle s’arrête dans les villages. Elle chante ces chants-là, comme ça. Le temps d’un concert partagé, le village se rassemble dans un vieux café bicentenaire. Ou autour du nouveau four à pizza. Ou dans une étable qui peut enfin révéler ses talents de salle d’opéra. Ou encore dans une très ancienne chapelle, préservée et bichonnée par un comité attentif. Puis, là, les chants prennent, tout de suite, dès la première tierce de cette drôle de berceuse namuroise. Le chant devient jazzy et espiègle, les visages rient, les histoires commencent. Mais si la Crapaude marche jusqu’au cœur des villages, c’est aussi pour savoir si les chants y vivent encore. Alors, après avoir partagé avec le public un chant à répondre qui se moque des déboires d’un malade imaginaire, la Crapaude s’assied et tend l’oreille.
Pour tout vous dire, je crois qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’elle allait entendre… Timidement, une voix se met à chanter. Tu te souviens ? C’est ce que chantait mon oncle à toutes les fêtes ! Mais je ne sais plus trop les paroles. Puis, la voix est reprise par une autre. Je m’en souviens ! Rejoint par d’autres voix, en chœur, parfois en polyphonies spontanées. Et ce chant que ton grand-père chantait en allant aux vaches, tu le connais encore ? Dans l’air, ça vibre. Les enfants se retournent étonnés…
Puis, bien sûr, après, on boit un coup. Quand on chante ces chants, on ne peut pas s’empêcher de parler de comment on rentrait les foins, des jeux de cartes sur les bancs devant les maisons, des courses folles à vélo, des fêtes où tout le monde chantait, des différences riches et amusants entre chez toi et chez moi. Puis de se demander comment tout ça a disparu. L’école qui empêche de parler wallon, la perte des images et des sons de la langue du pays, les champs et les forêts qui se clôturent et les petits bancs vides.
« En tous cas, ça fait du bien de vous voir si vivantes et drôles ! »
Merci !